
Lyncee avait toujours aimé jouer dans son Monde de jeu, un univers coloré où ses cubes de bois se transformaient en montagnes vertigineuses et ses poupées en chevaliers intrépides. Mais aujourd’hui, elle sentait au fond d’elle un frisson d’aventure différent : quelque chose d’encore plus grand l’attendait.
Assise au milieu de ses trésors – briques magnétiques, petites voitures, et guirlandes étincelantes – elle tenait serré contre elle son compagnon le plus fidèle : son Ours en peluche, un vieil ami au pelage doux et à l’œil rieur, nommé Toto. Ce n’était pas un ours ordinaire. Pour Lyncee, Toto possédait une âme généreuse et un courage discret. Quand elle était triste, il la réconfortait. Quand elle avait peur, il la rassurait. Et aujourd’hui, il grelottait un peu dans ses bras, comme s’il pressentait que l’aventure serait longue.
Au fond de la pièce, un tiroir un peu cabossé criait son nom avec insistance. C’était là que dormait la Carte au Trésor, un vieux parchemin qu’elle avait déniché un jour dans le grenier. La carte promettait un trésor légendaire, caché depuis des générations dans les replis du Monde de jeu.
« Regarde, Toto ! » dit-elle en dépliant le parchemin. Des routes sinueuses, des symboles étranges, une montagne en forme de château, et au bout, un X flamboyant : « Ici se cache le Trésor Étoilé ! »
Lyncee avait la douce personnalité d’une fille pleine de créativité et d’empathie. Elle observait le monde avec des yeux émerveillés, mais elle manquait parfois de confiance. Alors elle s’efforçait de garder le sourire et d’écouter son cœur.
Sans attendre, elle entreprit de rassembler son matériel : une petite lampe de poche pour éclairer les cavernes de blocs, une boussole qu’elle avait construite en collant une aiguille sur un bouchon de liège, et deux tranches de pain aux confitures pour le goûter.
« Tu viens, Toto ? » glissa-t-elle doucement à l’oreille de l’ours. Il hocha la tête – du moins c’est ce qu’elle croyait voir – et ils partirent ensemble sur la route des dalles colorées.
Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent face à la Forêt Étoilée, un labyrinthe de coussins empilés qui formaient un dédale moelleux. Chaque coussin était brodé d’une étoile argentée. Pour traverser, il fallait respecter trois règles : ne pas faire craquer un fil, ne pas réveiller la Fée Sieste, et garder le silence au passage.
Lyncee se glissa prudemment d’un coussin à l’autre, Toto serré contre sa poitrine. Elle retenait son souffle à chaque mouvement, s’appliquant à poser le pied sur les étoiles brodées. Brusquement, un léger grésillement interrompit leur progression : le X de la carte brillait soudain sur le coussin le plus haut.
Avant qu’elle ne comprenne, le sol vibra. Des gouttes de poussière d’étoiles tombèrent comme une pluie scintillante. La Fée Sieste ouvrit un œil, bâilla longuement et chuchota :
— Chut… vous cherchez le trésor ?
— Oui, milady, répondit Lyncee en faisant une révérence, tremblante d’excitation.
— Pour passer, il faut répondre à mon énigme !
Ses ailes translucides battaient doucement, projetant des reflets irisés sur les coussins. Lyncee sentit son cœur s’emballer. Elle adorait les énigmes, surtout celles qui titillaient l’imagination.
— Je suis léger comme une plume, et pourtant même le plus fort des humains ne peut me tenir très longtemps. Qui suis-je ?
Lyncee plissa les yeux et murmura : « Le souffle ? La respiration ? »
— Exact, fit la Fée Sieste en souriant. Vous pouvez passer.
Les coussins s’écartèrent comme des pétales, ouvrant un chemin vers la Montagne-château, un amas de blocs empilés en spirale. Chaque niveau était protégé par une épreuve : escalader sans faire tomber les pierres, résoudre un petit puzzle de couleur, puis franchir une arche couverte de guirlandes.
Lyncee grimpa avec précaution, soutenue par Toto qui veillait sur elle. Quand elle atteignit le sommet, elle poussa un cri de joie : devant elle s’étendait un étroit pont suspendu, tendu entre deux tours improvisées. De l’autre côté, une silhouette sombre se dessinait : la Sorcière des Songes, l’antagoniste dont plusieurs légendes parlaient avec crainte.
La Sorcière avait une voix rauque et chantante. Ses yeux luisaient sous un chapeau pointu trop grand pour elle. Elle tenait dans ses mains un livre ancien, plein de formules magiques.
— Ah, la petite Lyncee et son brave ours en peluche… Je vous attendais, dit-elle en croisant les bras. Vous cherchez un trésor, mais le vrai trésor, c’est la magie qui sommeil en vous.
Lyncee sentit son courage vaciller. La sorcière pouvait lancer des sorts impressionnants. Et si Toto n’était qu’un jouet sans défense ? Pourtant, une petite voix intérieure l’encouragea : « Tu peux le faire. Crois en toi. »
— Si le trésor est dans la magie, alors je veux découvrir cette magie ! répliqua Lyncee.
À ces mots, la Sorcière haussa un sourcil. Elle ouvrit son grimoire et feuilleta les pages jaunies. Puis elle lança :
— Pour mériter la magie, vous devez affronter trois épreuves. La première : traverser le Pont des Illusions sans vous tromper.
Les planches du pont se transformèrent soudain en images mouvantes : un lac tranquille, un champ de fleurs, une montagne glacée. Chacune était une illusion. Seule la vraie route était invisible.
Lyncee hésita, puis respira profondément. Elle ferma les yeux, écouta le bruit du vent et, guidée par son instinct, posa le pied. Les illusions s’évanouirent une à une. Arrivée de l’autre côté, un sourire triomphant éclaira son visage.
— Bien ! s’exclama la Sorcière. Deuxième épreuve : la Salle des Échos. Vous devez prononcer votre souhait le plus profond, mais attention aux contre-chants. Vos paroles risquent de se retourner contre vous.
Dans une alcôve sombre, Lyncee dut faire face à ses doutes : elle craignait de ne pas être assez courageuse, de blesser Toto en l’entraînant dans une aventure trop périlleuse. Les échos entremêlaient ses pensées, lui soufflaient la peur.
Serrant son ours contre elle, elle murmura :
— Mon souhait le plus profond, c’est de trouver le Trésor Étoilé… pour rendre chaque instant de mon jeu inoubliable, pour partager le bonheur de l’invention et de l’imaginaire.
Les échos répétèrent sa promesse, clairs et sincères. La salle s’illumina.
— Dernière épreuve : l’Antre des Ombres. Là, vous affronterez votre peur. Seule la confiance vous sauvera.
Devant elle, une silhouette familière : son propre reflet, mais recouvert d’ombres. Le reflet parlait d’une voix où l’inquiétude se mêlait à l’envie d’abandon.
— Qui es-tu ? demanda Lyncee.
— Je suis toi, répondit la silhouette. La Lyncee qui doute, qui tremble. Je veux arrêter cette quête, retourner au confort de ta chambre.
Lyncee sentit les larmes lui monter aux yeux. Comme si le monde de jeu devenait soudain trop vaste, trop imprévisible. Mais elle se souvint des rires partagés, des constructions échafaudées, des histoires inventées avec Toto.
— Je suis toi aussi, répondit-elle. La Lyncee qui ose, qui rêve. Je n’abandonnerai pas celui ou celle que je suis devenue. Ensemble, nous sommes plus fortes.
Les ombres se dissipèrent. La Sorcière, émue, posa son grimoire sur un piédestal de cubes dorés.
— Vous avez prouvé votre courage et votre imagination. Le trésor est à vous.
Un dernier pan de mur s’ouvrit, révélant un coffre ancien, décoré d’étoiles argentées et d’un X rougeoyant. Lyncee s’approcha, le cœur battant. Elle souleva le couvercle et découvrit, non pas des pièces de monnaie, mais un assemblage merveilleux : un globe en verre renfermant une galaxie miniature, des sphères lumineuses en suspension et, au centre, une petite clé en cristal.
— C’est le Trésor Étoilé, expliqua la Sorcière. Il permet à toute création de briller de mille feux, de libérer l’imagination et de partager la magie du jeu.
Lyncee, émerveillée, sentit Toto tressaillir dans ses bras. Puis elle s’exclama :
— Merci ! Je le partagerai avec tous mes amis, pour que chacun puisse s’évader et inventer de nouvelles histoires.
La Sorcière sourit et, d’un geste solennel, rendit à Toto sa voix douce. L’ours parla alors pour la première fois :
— Lyncee, tu as un cœur d’aventurière et une âme d’artiste. Grâce à toi, la magie du jeu vivra pour toujours.
Alors, d’un coup de baguette, la Sorcière des Songes s’effaça, laissant derrière elle un parfum de fleurs nocturnes. La pièce s’illumina, et le Monde de jeu reprit ses couleurs éclatantes.
Lyncee installa le Trésor Étoilé sur une étagère, là où chaque rayon de lumière pouvait le traverser. Elle savait que désormais, chaque construction, chaque maison en cubes, chaque guerrier en figurine, serait habité par une lueur céleste.
Et dans son cœur, elle garda la certitude que, avec courage et imagination, elle pouvait surmonter toutes les épreuves. Tandis que la lampe se tamisait, Lyncee et Toto se lovèrent dans un cocon de couvertures, prêts à rêver de nouvelles aventures.
Car dans le Monde de jeu, l’histoire ne cesse jamais vraiment : elle se transforme, grandit, et attend d’être écrite à nouveau.