
Chapitre 5 : Le Retour de la Lumière (optionnel)
Chapitre 5 : Promesses d’ombres et lumières nouvelles
Le retour vers la galaxie connue fut bien moins chaotique que tout ce qui avait précédé, mais nul ne pensait vraiment à se reposer. Après la traversée du Pont des Ombres, la navette de Xiluk, encore auréolée de minuscules halos lumineux, filait vers la station-relais d’Orionis : une ruche cosmique perdue à l’intersection de tous les possibles, refuge improvisé pour voyageurs en mal de repères.
Noah, assis à côté d’un Xiluk étrangement calme, sentait la fatigue lui peser. Mais quelque chose avait changé : sous la combinaison argentée, sa broche « OSE » n’était plus seulement un badge, mais le symbole vécu d’un passage à l’âge des rêves adultes. L’Ombre, pour sa part, ne semblait plus limitée à la surface des murs ou à la lumière vacillante des projecteurs : elle glissait parfois dans l’air comme une brume malicieuse, d’autres fois, s’incarnait dans la paume de Noah, pulsant d’une chaleur réconfortante.
À mesure que la station grossissait dans le hublot, Xiluk fredonna un air nouveau — mélange de swing galactique et de berceuse d’explorateur. Il fit tournoyer sur sa paume la clé à molette de secours, désormais totem d’une insouciance retrouvée. Ses quatre bras s’en donnèrent à cœur joie pour ajuster une ultime fois ses antennes, rescapées de la tempête imaginaire. Il se tourna vers Noah, un sourire franc sur le museau :
— Je parie que la routine ne voudra plus de moi, désormais. Impossible de fabriquer un gadget anti-ennui aussi efficace que cette virée, pas vrai ?
Noah sourit, les yeux brillants de gratitude :
— Je crois qu’on n’a même pas inventé le mot pour ce genre d’aventure… Mais je sais une chose : tu es encore plus ingénieux depuis que tu n’as plus peur de sauter dans l’inconnu.
— Hinhin, concéda Xiluk en penchant la tête, qui sait, un jour je lancerai une école : « Bricolage pour rêveurs hors-norme ». Tu t’inscris d’office !
La navette accosta en douceur, ancrant sa coque sur un quai vibrant de signaux multicolores. Par les hublots défilèrent d’autres formes humaines et aliennes, toutes rassemblées au fil des galères spatiales. Un commando de techniciens trottina jusqu’à eux, à la fois soulagé et ébahi de leurs faire-part de survie.
Parmi la cohue, Noah entendit soudain un cri :
— NOAH ! C’est pas croyable, tu vis !
Une fillette aux yeux sombres, la chevelure hérissée de poussières photonique, fendit la foule et se jeta dans ses bras avec, sur sa manche, la même broche phosphorescente que la sienne. Sa sœur ! Derrière elle, l’équipage jadis perdu, réunis dans un chaos de rires, de larmes et d’histoires effarantes.
Noah serra sa sœur contre lui, le cœur débordant d’un sentiment neuf : la certitude que l’inattendu n’est rien d’autre qu’un chemin à écrire. Il présenta Xiluk, qui se fendit d’une révérence théâtrale, puis l’Ombre, que l’équipage vit d’abord comme un simple halo, avant de la voir s’étirer, saluer d’une main vaporeuse, puis—sous les yeux ébahis—prendre brièvement la forme d’une jeune femme astronaute bouclée, le regard résolu et doux à la fois.
L’Ombre déclara, d’une voix plus stable que jamais :
— Merci, Noah. En traversant vos peurs, vous m’avez libérée tout autant. Ici, je peux enfin choisir la forme, la dimension, l’histoire. Sachez, voyageurs, que toute ombre porte en elle la mémoire d’un courage à transmettre.
Un concert d’applaudissements émerveillés secoua le quai. Certains prirent des clichés, d’autres tâchèrent d’esquisser la silhouette de l’Ombre sur leurs tablettes tactiles. Un vieux mécanicien, les moustaches pleines de cambouis stellaire, souffla :
— Jamais vu la lumière danser aussi bien avec l’inconnu…
La nouvelle de leur arrivée fit vite le tour de la station. Le commandant, une femme massive à la voix d’acier, étreignit Noah puis se pencha vers Xiluk :
— On a cru vous perdre dans la tempête d’astéroïdes. Que rapportez-vous, à part des histoires à faire tomber une Intelligence Artificielle en panne ?
Xiluk, fier, présenta le plan holo du champ d’astéroïdes — un chemin jamais cartographié, tissé d’audace et d’imagination, que la station n’aurait jamais repéré sans eux. La commandante acquiesça, impressionnée, puis déclara solennellement :
— Eh bien, petit astronaute, j’espère que tu as laissé quelque chose de bien, là-bas, parce que tu viens de rapporter la plus belle preuve que l’aventure n’habite pas les cartes — mais ceux qui osent en écrire les contours.
La journée fila en retrouvailles, partage de récits, réparations, et (à l’insistance de Xiluk) en expériences culinaires redoutables mélangées d’épices terriennes et de liquides Xiluniens — dégustation dont la mémoire collective parlerait longtemps.
Au crépuscule, Noah retourna seul à la coupole d’observation. Là, sur la plateforme la plus haute, attendait le vieux télescope de relais — entaillé, rapiécé de pièces venues des confins. Guidé par une impulsion intérieure, il orienta la lentille non pas vers la Terre ou un quelconque signal amical, mais vers la Planète des Ombres, distante désormais d’années-lumière mais plus vivante que jamais dans sa mémoire.
Il hésita, ajusta la molette en pensant à la marelle lumineuse des astéroïdes, au Pont changeant, aux rires, aux peurs franchies ensemble. L’image qui surgit le fit retenir son souffle : à la surface de la planète, là où régnait jadis une nuit sans fin, dansaient maintenant des serpents de couleurs. Des lueurs roses, turquoise, or, rouge même, tissaient des arabesques, montant parfois à l’assaut du ciel noir, s’y attardant comme pour inviter d’autres voyageurs. Ici et là, d’autres ombres se déplaçaient, touchées de lumière et d’intentions nouvelles. Le Pont des Ombres scintillait, visible, et lançait vers l’espace un signal discret mais constant — comme un phare pour l’imagination égarée.
Les yeux écarquillés, Noah sentit l’Ombre flotter à côté de lui, savourant le spectacle :
— C’est toi, c’est nous, c’est chaque rêveur qui s’aventure à travers sa peur, qui laisse ces traces. Là-bas, sur cette planète, chaque audace éclaire le silence. Et chaque ombre qui choisit la lumière, même brève, fait naître un jour prometteur.
Noah sourit, ému, repensant à la broche « OSE », à sa sœur, à chaque figure étrange de cette odyssée.
— J’avais toujours cru que mon imagination était fragile. Maintenant, je comprends : c’est la clef. Ce n’est pas fuir, mais franchir, qui importe. L’aventure commence là où on s’invente le courage d’inventer son pas suivant.
— Exactement, murmura l’Ombre, se lovant tendrement sur son épaule, tout en laissant filtrer une vibration chaude — une promesse de retour possible, un écho des lumières neuves.
Derrière, Xiluk fit irruption dans la salle, tenant à bout de bras une écharpe bariolée, mi-tricotée, mi-inventée, qu’il lança vers Noah en riant :
— Pas question de repartir sans une étole du club des Aventuriers briseurs de brume ! Prochaine expédition, j’exige qu’on invente des planètes à explorer ensemble. Allez, qui suit ?
Noah éclata de rire, son imagination déjà lancée vers des constellations abstraites, des cartes à dessiner, des ombres à apprivoiser. Il lança un dernier regard vers la Planète des Ombres, jurant silencieusement que jamais il n’oublierait la danse de ses lumières ni le pacte tacite qu’il venait d’imprimer dans le vide cosmique :
Ose inventer, même si tu as peur. Chaque ombre portée te promet une lumière à façonner.
La station vrombissait de la rumeur de nouvelles quêtes, et au-dehors, dans le silence étoilé, la Planète des Ombres veillait — éclatant, enfin, d’une promesse inépuisable : l’exploration ne finit jamais pour qui avance cœur et imagination ouverts.