
La Galerie d’art magique était vaste et incroyablement vivante, pleine de reflets changeants et de murmures colorés. Entre ses murs luisants au parfum sucré de glycines s’étirait un parquet ancien, si lisse que Jade, ballerine à la robe irisée, aimait y dessiner des arabesques qui faisaient vibrer jusqu’aux tableaux suspendus.
Ce matin-là, Jade dansait avec une énergie qui éclaboussait la lumière partout où elle posait les pieds. Sa tresse noire volait derrière elle, rebondissant au rythme de ses pas : pirouette, chassé, grand jeté ! Sous ses mouvements, les ombres semblaient applaudir, tandis qu’au fond de la galerie, le célèbre tableau « L’Éveil des Marées » frémissait, comme s’il attendait quelque chose.
– Tu vas finir par réveiller tout le monde ici, Jade ! lança soudain une voix moqueuse.
Un petit chat blanchi par des reflets bleu-argent s’était faufilé entre deux socles fleuris. Ses yeux turquoise brillaient d’intelligence, et derrière ses airs de farceur, Jade savait que ce compagnon tenait à elle comme à la prunelle de ses moustaches.
Jade s’arrêta, ramenant ses bras en couronne avant de s’incliner devant le Chat avec un sourire espiègle.
– Mais c’est le but, non ? Plus on fait de bruit, plus la magie se réveille ! Toi aussi, tu pourrais t’essayer à un entrechat.
Le Chat redressa la queue, feignant l’offense :
– Moi ? Motivée, je le suis, mais il faut deux pattes gauches pour apprécier la danse, voyons...
Cependant, l’ambiance changée en un souffle, le Chat se mit à l’affût, oreilles droites, poil hérissé.
– Quelque chose ne tourne pas rond. Tu sens ?
Avant même que Jade ne puisse répondre, une lueur argentée pulsa sous la porte secrète de la galerie. Puis, dans un froissement doux, un enfant mince à la peau pâle et translucide, comme taillée dans un clair de lune, apparut au cœur de cette lueur. Vêtu d’une cape immaculée qui s’illuminait à chaque pas, il avait des yeux rieurs, mais aujourd’hui, l’inquiétude assombrissait son visage étrangement paisible.
– Jade..., murmura-t-il en sautillant d’un pied sur l’autre, sa voix semblant résonner tout droit des étoiles. Aide-moi, s’il te plaît !
– Enfant de la lune, souffla Jade, mi-étonnée mi-fascinée. Que se passe-t-il ?
L’Enfant, qui parfois venait admirer ses arabesques, glissa vers elle, ses cheveux flottant derrière lui.
– Les marées magiques se sont endormies. La plage enchantée... elle se transforme, le sable boit la lumière, les coquillages s’effritent, tout devient désert ! On ne peut plus danser sur l’écume comme avant... J’ai tout tenté : devinettes, chansons, puzzles... Rien n’a réveillé les vagues.
Le Chat s’assit, la queue courant sur ses pattes, soudain très sérieux.
– Ce ne serait pas un coup de...
Avant qu’il ne finisse sa phrase, un rideau de velours au fond de la galerie trembla. Entre deux toiles couvertes de brume, une silhouette étrange apparut : flottait au-dessus du sol une marionnette aux bras articulés, traversée de filaments argentés et de petites lumières tourbillonnantes. Son visage pâle et inexpressif était pourtant rassurant.
– Le Gardien des reliques..., glissa Jade avec respect.
Le Gardien, mi-fantôme mi-marionnette, faisait des moulinets sinueux avec ses doigts d’ombre.
– Il est venu..., souffla-t-il d’une voix crépitante. Morbax, l’ogre des galeries oubliées. Il veut la clef d’argent, celle-là même qui veille sur le sommeil des marées. Sans elle, la magie s’éteint, et la plage perdra sa couleur pour toujours.
Il désigna « L’Éveil des Marées », dont l’eau peinte semblait pleurer de tristesse.
– Jade, toi seule peux entrer. Ces tableaux sont vivants, mais fragiles ; il faut du courage, il faut la folie des rêveurs, il faut...
Il s’arrêta, cligna d’un œil inexistant, puis lança d’un ton plus léger :
– ...un brin d’imagination, paraît-il !
Des grondements profonds se mirent à rouler derrière les murs. Jade sentit un frisson lui parcourir le dos, et même l’Enfant de la lune se recroquevilla, glissant un doigt sur sa bouche en signe de silence.
Pour la première fois, la salle ondoyante lui parut immense et mystérieuse. Son cœur battait fort, mais autour d’elle, ses amis la regardaient avec une confiance fiévreuse : le Chat, prêt à en découdre même face à un ogre, le Gardien prêt à souffler des énigmes entre deux éclairs, et l’Enfant, mi-lumière mi-poésie, suspendu à ses gestes.
Jade hésita. Elle posa la main sur la toile méduse, la mer y dansait en taches lumineuses. Que trouvait-on de l’autre côté, une fois le cadre franchi ? Des pièges mouvants, la tempête des Doute, des créatures nées de l’Ennui ou pire, le grand Morbax en personne ?
Mais soudain, son Chat miaula doucement :
– Si tu y vas, j’irai aussi. On a affronté le canon à confettis du tableau du cirque, non ?
L’Enfant de la lune ajouta dans un souffle :
– On croit tous en toi, Jade. Quand tu danses, même la nuit s’éveille. Si quelqu’un peut réveiller les marées, c’est une ballerine qui n’a pas peur de rêver.
Un sourire, puis un clin d’œil à ses compagnons. Elle ferma les yeux, leva les bras en cinquième, inspira. D’un pas de bourrée rapide, elle fit un entrechat... et franchit le cadre du « L’Éveil des Marées ».
La mer peinte gonfla alors sous ses pieds. Le sol ondulait, la lumière filtrait à travers des rideaux de bulles d’encre et, soudain, tous les tableaux se mirent à vibrer en cadence.
Derrière elle, ses amis sautaient à sa suite, tandis que la tempête naissante leur murmurait déjà des devinettes magiques à résoudre.
Le voyage venait de commencer.