
Chapitre 3 : Le piège du Gardien et l’étrange vérité d’Onyx
Chapitre 3 : Le Jugement du Gardien et l’Épreuve des Cœurs Cachés
Le grondement s’intensifiait, une vibration sourde courant sous la mousse et les dalles du labyrinthe végétal. Soudain, une fissure apparut entre deux statues, élargissant la terre humide en une crevasse pâle d’où s’exhala une lumière opaline. Les branches se tordirent et la brume s’écarta, dévoilant la silhouette redoutable du Gardien des reliques.
C’était une statue colossale de roc noir veiné d’argent, d’une beauté sévère à couper le souffle. Ses paupières sculptées palpitaient de l’intérieur, irradiées d’une lueur bleu-froid. De sa main droite, il tenait un sceptre ciselé du motif du miroir brisé, tandis qu’à son cou pendait un fragment de verre terni dans une chaîne de cuivre.
Onyx s’aplatit, oreilles rabattues, tandis qu’Élie murmura, bouche sèche :
— J’ai l’impression de rêver d’un manuel d’histoire… format géant et hostile.
Le Gardien parla — ce n’était pas une voix mais une vibration, grave et profonde, qui sembla résonner à travers chaque organe d’Arthur :
« Intrus, chercheurs de reflets perdus… Vous êtes parvenus là où nul n’aurait dû errer. Voulez-vous défier la nuit ? Les âmes du Jardin attendent justice… Trois énigmes ; trois vérités seules trancheront. L’échec… c’est la pierre. »
Arthur sentit la peur siffler dans ses veines, mais serra les poings, l’instinct de défiant s’éveillant en lui.
Le Gardien leva lentement son sceptre, dessinant dans la brume un arc d’énergie pâle. La première énigme tomba, déformant l’air d’un écho ancien :
« Mon existence est sculptée par la mémoire, rayée de regrets et de secrets. Si tu veux comprendre ton chemin, devine ce que raconta ma frise il y a cent ans. »
Arthur se tourna lentement vers la base de la stèle, où une longue frise sculptée courait dans la pierre, mangée de lichens et d’entailles. Il s’accroupit, le cœur battant, tandis qu’Onyx tapota du bout de la patte le début du motif.
Élie s’accroupit à son côté, le souffle court. Il balaya la mousse d’un doigt nerveux.
— Regarde, ici… une main tendue, puis des visages tournés vers une lune. Là, c’est une fontaine, non ? Et ce symbole… on dirait le même qu’il y a sur ton médaillon, Arthur.
Arthur sortit la loupe de son sac, examinant les détails effacés : autour d’une fontaine, des enfants jouaient, tandis que des adultes, à l’arrière, semblaient se détourner, tels des ombres floues. Soudain, il repéra une silhouette qui touchait le miroir incrusté au centre, pendant que d’autres, effrayées, s’en détachaient.
— Ils ont voulu oublier… ou protéger. Le Jardin a été créé pour garder les regrets et les souvenirs volés… Chacun déposait un souvenir douloureux ici, et les statues sont devenues leurs gardiens !
Le Gardien frémit, semblant approuver, sa voix vrombissant de satisfaction amère :
« Ainsi, tu dévoiles le passé : c’est un cimetière de regrets et de miroirs. »
La frise brilla, un liseré d’argent courant d’une extrémité à l’autre. Une statue, jusqu’alors figée dans l’ombre voisine, s’effrita lentement, déliant sa prison de pierre. Un courant d’air chargé d’espoir passa au creux d’Arthur.
Mais sans désemparer, le Gardien enchaîna :
« Seconde énigme. Elle concerne ton compagnon qui n’est ni tout à fait bête, ni tout à fait spectre : chat, révèle une identité vraie, ou vois s’effilocher tes neuf vies. »
Onyx recula, poils hérissés, comme si la menace du Gardien allait le pulvériser en poussière stellaire. Arthur pencha la tête, la voix douce :
— Onyx… tu n’es pas qu’un chat, n’est-ce pas ?
Élie grimaça, tentant une pirouette verbale :
— Onyx, si t’es agent secret ou moitié fantôme, c’est le moment de balancer.
Onyx leva les yeux vers la lune. Sa silhouette parut s’allonger, sa voix se fit plus grave, plus ancienne.
« J’ai gardé ce jardin depuis une éternité où j’ai oublié mon nom d’homme. Dans une autre vie, j’étais Léo, l’enfant qui voulut réparer ses erreurs… J’ai frôlé le miroir interdit, pensant sauver un frère. J’ai failli. Pour payer ma vanité, je suis devenu guide et chat, condamné à attendre d’autres âmes. Tant que le miroir existe, tout reste brisé en moi, partagé entre la bête et la conscience. »
Un silence résonna. Arthur sentit une tristesse familière, le poids du regret, et s’agenouilla près d’Onyx, lui passant la main sur la tête :
— C’est la peur d’un passé qui nous lie tous ici, Onyx. Merci de nous faire confiance.
Onyx redressa le museau, ses iris violets brillant d’une lueur d’espoir méfiant. Derrière eux, le vent s’adoucit un instant, comme si le jardin lui-même saluait cette confession.
Le Gardien, le visage sculpté se fendant d’une ride nouvelle, acquiesça lentement :
« Vérité dévoilée, malédiction fissurée. Mais un cœur ne se libère pas sans esprit. Voici la dernière énigme, pour le Résolveur. »
Élie avala sa salive, la gorge serrée d’excitation battue de peur. Le Gardien déploya devant lui un damier taillé dans la lumière, comme un puzzle mouvant. Des tuiles de pierre flottaient, portant des symboles entrelacés — yeux fermés, miroirs, mains jointes et larmes figées. Les tuiles se disposaient en une étoile barrée.
La voix du Gardien roula, lourde de menace :
« Ordre et harmonie sont fugaces, l’illusion t’emprisonne si tu manques la logique. Place chaque symbole dans l’ordre exact pour reconstituer le vrai visage du Jardin. Un seul essai. Une erreur, et jamais plus ton esprit ne quittera ce rêve. »
Élie sentit ses doigts trembler. Il observa, chercha des motifs, des répétitions, scruta Arthur du coin de l’œil. Arthur murmura :
— Je t’aiderai. C’est le miroir brisé qui décide du centre, regarde : les tuiles qui l’entourent doivent montrer le passage de l’ombre vers la lumière…
Onyx, redevenu Léo dans la voix, indiqua calmement :
— Chaque angle porte un souvenir, chaque ligne une émotion. Va du regret au pardon, puis à l’oubli.
Maîtrisant son souffle, Élie disposa les symboles, hésitant à la dernière tuile. Un instant, il faillit placer la main fermée, puis s’arrêta :
— Non, ça doit être la main ouverte… On ne sort des regrets qu’en s’ouvrant aux autres, pas en se repliant.
Il déposa la tuile. Le damier étincela d’argent, le puzzle cliqueta en se scellant d’une lumière douce. Un souffle chaud enveloppa le trio ; la peur s’effaça comme un cauchemar dissipé par le matin.
Le Gardien se dressa alors dans toute sa solennité, et, pour la première fois, son visage taillé dans le granit esquissa ce qui aurait pu être un sourire fatigué :
« Beaucoup cherchent la sortie. Peu acceptent la part d’ombre qui habite leur quête. Vous avez brisé trois anneaux de servitude. Je vous dois la révélation. »
Sa main, massive et pourtant délicate, désigna la direction du cœur du jardin. Au loin, la brume s’écarta, découvrant un chemin hérissé d’herbes sombres, menant tout droit vers un étang aux reflets étrangement vivants.
— Là où se trouve la lumière trompeuse, derrière les masques d’eau, votre miroir attend. Mais prenez garde, le dernier secret exige du courage, pas seulement de l’esprit.
Le Gardien s’inclina, sa silhouette s’embrumant déjà :
« Libérez ce lieu, ou devenez à votre tour partie de ses énigmes. »
Un souffle de vent effleura le visage d’Arthur. Il sentit la camaraderie d’Élie, la chaleur du secret partagé d’Onyx/Léo, et la promesse muette du Gardien. Il se releva, prêt.
Un dernier regard vers la stèle, devenue simple pierre sous la lune. Le sentier s’ouvrait sur l’ultime vérité, l’étang aux Reflets — et déjà, des échos fugitifs de voix anciennes bruissaient sur la surface ondoyante, invitant à oser affronter les deux miroirs : celui du jardin… et celui que l’on porte en soi.