Histoires pour enfants

Lyam et le Portail du Vent Ancien

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Dans une montagne balayée par la foudre et les secrets, Lyam, jeune chasseur de tempêtes à l’imagination débordante mais rongé par le doute, entreprend une quête périlleuse : activer le grand portail du Vent Ancien menacé par la tyrannie du Roi. Guidé par son chien loyal et un mystérieux Nomade insaisissable, Lyam devra écouter le murmure des orages, défier ses peurs, résoudre des énigmes ancestrales, et découvrir que l’audace et la solidarité sont les clefs de tous les possibles.
Lyam et le Portail du Vent Ancien

Chapitre 3 : Les Trois Fragments

Chapitre 3 : Les Trois Fragments et le Vertige du Choix

Les cimes grinçaient comme des navires secoués par la houle : depuis l’aube, la montagne résonnait d’un vacarme étrange. Ce n’étaient pas les orages familiers, mais des tempêtes hachurées, mécaniques, déclenchées par la main d’un roi inquiet. Chaque éclair semblait tracé à la règle, chaque grêle tombait avec une ponctualité menaçante. Dans la confusion, le trio dut accepter l’inéluctable : il leur faudrait se séparer pour collecter les trois fragments, chacun dissimulé dans une épreuve propre à ses forces singulières.

Le Nomade traça au sol, du bout de son bâton, la carte de leur destinée. Sur le schiste humide, il dessina trois sentiers distincts : l’un filait vers la Gorge du Tonnerre, gouffre profond, territoire de la mémoire ; l’autre montait en épingles vers les plus hautes pentes, royaume des vents hargneux ; le dernier menait aux corniches glacées, baignées d’un crépuscule irréel où la lumière stagnait dans des corolles gelées.

— Chacun suivra le souffle qui l’habite, confia-t-il, offrant à Lyam un regard grave. Quoi qu’il advienne, ne renonce pas à ton chemin — ni à ceux qui t’aident à le gravir.

Velk secoua la tête, oreilles droites. Un frisson remua la fourrure du chien : le vent portait une odeur de craie brûlée, de peur ancienne, mais aussi cette note acide de l’espoir. Lyam serra la lanière de sa cape, hésitant devant le gouffre décharné. La Gorge du Tonnerre l’attirait comme une blessure que l’on gratte sans pouvoir s’en empêcher. Il salua les deux autres d’un geste, empoigna la pierre fétiche offerte autrefois par son père, et se lança dans la brume balafrée de lumière.

———

La Gorge du Tonnerre n’était pas silencieuse, mais bruissait de mille souvenirs barbelés. Les parois suintaient d’échos, de rires étouffés, d’effroi figé dans la roche. Lyam glissa une main sur le rebord, se rappelant la dernière fois qu’il était venu en cet endroit : c’était avant… avant que le monde ne s’éteigne à moitié avec le regard de son père.

Des éclairs crépitaient derrière ses paupières. Il revit la silhouette massive, le visage buriné par mille averses. Son père riait, riait toujours même face à la peur. Il répétait : « Le danger n’est qu’un partenaire de danse, mon garçon. Ce qui compte, c’est le rythme. »

Mais ce soir-là, le rythme s’était rompu. Son père était parti — à jamais — dans une bourrasque qui l’avait englouti, ne laissant derrière lui que ce talisman de pierre, lourd à porter autant que l’absence.

Lyam poussa un soupir tremblant. Comment affronter un gouffre quand il déborde de regrets ?

Soudain, un grondement secoua le sol. La gorge vibrait, animée de l’intérieur : une voix — ou une pensée — s’insinua, grave :

— Es-tu venu pour fuir ou pour apprendre ?

Il renonça à parler. La voix — qui était peut-être la sienne — poursuivit :

— Approche la main là où ça fait peur. Le courage, ce n’est pas de ne pas trembler, c’est d’avancer malgré la brisure.

Guidé plus par la mémoire sensorielle que par sa volonté, Lyam repéra un rocher fendu, veiné de lumière terne. C’était LÀ : l’endroit exact où, jadis, la main paternelle l’avait tenu pour le relever lors d’une chute. Maintenant, il devait se relever seul.

Il hésita : la roche semblait vibrer d’un effroi ancien. Il se força à poser la main sur la fissure, sentit la chaleur remonter jusqu'à l'épaule, puis tira doucement…

La pierre se décala avec un râle sourd. Un éclat brut, minuscule mais d'une densité presque effrayante, luisait dans la pénombre. Il était à la fois lourd comme une promesse et léger comme un soupir. Le Fragment de Pierre : Lyam le serra contre son torse, les larmes barrant soudain sa vision. Il n’était plus seul dans le gouffre : son père était là, dans ce fragment, dans cette montagne, dans toute sa peur affrontée.

— Merci, souffla-t-il, sans trop savoir à qui s’adressait ce mot — au souvenir, au vent, à lui-même ?

———

À l'autre versant, Velk n’avait pas hésité. Flancs tendus, moustache frémissante, il bondissait de roc en roc, sa truffe fouillant l'air saturé d'ozone. Soudain, la sente s’ouvrit sur un replat exposé où une scène étrange se déroulait : un aigle gigantesque, ailes entravées par un filet tissé de plumes et de cordes frappées du sceau royal, se débattait faiblement, le regard affolé.

Velk s'approcha, prudent mais résolu. L’animal gronda, le bec ouvert prêt à se défendre jusqu'à la mort, mais Velk, fidèle à sa gentillesse rusée, s’assit à distance, gueule entrouverte dans une sorte de sourire apaisant. Il approcha à petits pas, évitant les yeux puis le fixa, sans animosité. L’aigle, surpris par ce comportement inédit d’un chien, suspendit un instant sa lutte.

Alors, reniflant doucement, Velk sentit le parfum délicat d’un vent inconnu. Dans la gerbe de plumes ébouriffées, un éclat faillit lui échapper : c'était un minuscule cristal spiralé, entortillé dans les grandes rémiges, presque soudé par la peur et le vent figé. Le Fragment de Vent.

Velk comprit qu’il fallait agir avec douceur. Il mordilla prudemment la corde, la coupa avec ténacité, recula lorsque l’aigle gronda à nouveau, puis la relâcha d’un coup sec. Un battement d’ailes furieux dispersa la poussière, faillit emporter Velk qui roula en arrière, pattes en l’air. Mais, dans sa pirouette, il attrapa le fragment, qui tomba au sol.

L'aigle, désormais libre, s’immobilisa, posa ses yeux brillants sur Velk puis, comme pour le remercier, laissa planer une de ses plumes devant la truffe du chien avant de s’élancer dans le ciel.

Velk ramassa le Fragment de Vent avec la plume, tout fier de mêler bravoure et compassion, dressa la queue et courut retrouver Lyam, sans autre récompense que le plaisir d’avoir fait la différence.

———

Sur les corniches balayées d’une lumière pâle, le Nomade progressait lentement. À chaque pas, il scrutait la falaise, cherchait les indices laissés par les anciens : des motifs gravés, à moitié effacés, et surtout l’éclat froid de la fleur de glace. C’était une corolle translucide, prisonnière d’un gel irisé, suspendue à la roche comme une larme figée dans le temps.

Le dernier Fragment — la Lumière — s’y cachait, invisible à l’œil nu. Il suffisait — selon les légendes — d’une mélodie rare pour l’éveiller.

Le Nomade s’installa, posa la main sur son bâton, ferma les yeux. Il murmura ces chants oubliés : d’abord un filet rauque, puis une ritournelle fluide, qui imitait le souffle d’avant l’orage. La brise réagit, fit vibrer la glace, lui arracha une note fragile, écho de tout ce qui avait été perdu.

Lorsque la voix du Nomade atteignit un certain tremblement, la fleur de glace frissonna, s’épanouit lentement, libérant dans une pluie d’étincelles un minuscule fragment lumineux : un grain de clarté pure, aussi brûlant qu’un soleil miniature.

Il le recueillit, sourire discret sur les lèvres — convaincu plus que jamais que l’imaginaire et la sagesse restaient les plus fidèles des compagnons.

———

Les trois voyageurs, guidés par un instinct plus fort que la peur, se réunirent au pied du portail. Chacun tendit son fragment : pierre, vent et lumière se mirent à résonner, pulsant à l’unisson, unissant tout ce qu’ils étaient — fragiles, courageux, imaginatifs.

Mais alors qu’une onde chaude courait sur la montagne et que le portail vibrait d’impatience, le sol s’ouvrit sous leurs pas. Une embuscade royale : les agents du Roi, surgis d’en haut, fondirent sur eux comme des rapaces. Les bras du Nomade furent saisis, ses poings entravés par un filet de cuir glacé ; Lyam tenta de lutter, brandit la pierre, mais reçut un coup qui le plaqua au sol. Velk grogna, feula, mordit, mais dut reculer, les babines ensanglantées.

Le chef des agents, silhouette obèse bardée d’argent, brandit les fragments et ricana :

— Ces reliques n’ouvriront rien. La montagne n’a plus de place pour les rêveurs. Un monde muet vaut mieux qu’un monde déchaîné par vos folies.

À ses mots, Velk frémit en cherchant Lyam du regard. Celui-ci sentit la panique l’envahir : fuir, ce serait laisser le Nomade au supplice et abandonner la montagne à l’oubli. Mais rester, c’était risquer la capture, briser son rêve et perdre la clé du miracle qu’ils avaient presque reconstitué.

Lyam sentit dans sa paume la tiédeur du Fragment de Pierre. Se souvenir de son père. Se souvenir que le courage découle d’une décision, pas de l’absence de peur.

Il jeta un regard à Velk puis au Nomade — tous deux prêts, eux aussi, à l’impossible — et sut, dans un éclair de lucidité folle, que leur amitié valait tous les risques. Il fallait oser tout perdre pour ne plus rien redouter.

Dans la bourrasque hurlante qui montait, Lyam prit alors sa décision, le cœur battant à rompre, et se prépara à défier la Main du Roi. La montagne, suspendue à ce choix, semblait retenir son souffle même si l’orage s’approchait…



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