
Chapitre 1 : L’Appel de la Mine
Dans le paisible village de Roche-Feuille, les collines se drapaient chaque soir d’une brume argentée. Au sommet de la plus haute, cachée entre deux vieux bouleaux, une cabane perchée – toute en planches disparates et fenêtres biscornues – abritait ce soir-là un garçon plongé dans un roman épais orné d’une loupe en couverture.
Hugo, jeune détective en herbe, prenait de la place sur son vieux tapis élimé. Lunettes glissées sur le bout du nez, il annotait les marges d’une écriture minuscule, grinçait des dents à chaque fausse piste, et – surtout – rêvait d’élucider une énigme aussi savoureuse que celles de ses héros.
Scratch, son chat noir à la moustache blanche, bondit soudain sur le rebord de la fenêtre ouverte, toutes griffes dehors. Il huma l’air, oreilles pointées vers la vallée.
— Tu entends quelque chose, vieux brigand ? chuchota Hugo, déposant son roman les yeux brillants.
Scratch fila comme une ombre, abattant sa queue en point d’interrogation vers la plaine. Hugo fronça les sourcils : dans le village, on parlait depuis quelques semaines d’étranges lueurs surgissant autour de la mine abandonnée. Certains disaient que c’était des feux-follets ; d’autres, de drôles de lampes posées par les fantômes des anciens mineurs. Quoi qu’il en soit, Hugo sentait un picotement de curiosité bien plus intense qu’une piqûre d’ortie.
— L’heure de la chasse au mystère a sonné, murmura-t-il avec un sourire.
Il attrapa sa besace en cuir râpé. À l’intérieur : une lampe-torche, une loupe qu’il avait héritée de son grand-oncle policier, un carnet à croquis criblé de traces de gomme, et, précaution suprême, un mini-sac de croquettes pour Scratch. On ne savait jamais où la gourmandise pouvait mener un enquêteur à moustaches.
Une fois prêt, Hugo descendit de la cabane, direction la vallée, quand un bruit de pas feutrés l’arrêta tout net. De derrière un bosquet apparut un personnage étonnant : longue veste noire à boutons dorés, foulard prune, chapeau haut-de-forme tiré de travers et sourire énigmatique. Il tenait… une plume et un carnet un peu poussiéreux.
— Je me présente, dit-il en inclinant précisément son chapeau. Je suis l’Auteur. Genre : conteur de mystères, amateur de frissons, et – ce soir – spectateur curieux…
Hugo resta bouche bée.
— Vous venez… pour écouter une histoire ?
— Pour en écrire une, vite, avant que le mystère ne s’enfuie avec la brume ! On dit que tu es le plus prometteur des détectives du village. Ça tombe bien, je cherche un héros en pleine action pour mon prochain roman.
Scratch, qui jusque-là se méfiait de toute personne portant une cape ou des bottines luisantes, feula sans conviction puis consentit à s’approcher. Après tout, la curiosité avait toujours été sa faiblesse.
Tout était prêt. La brume s’étirait déjà en filaments laiteux sous les érables. Hugo alluma sa lampe et fila en direction des sentiers tortueux menant à l’ancienne mine.
À mesure qu’ils approchaient, l’air se faisait plus lourd, curieusement sucré, comme imprégné de souvenirs. Les grilles rouillées et la porte massive de la mine leur firent face. Hugo braqua sa lampe : une inscription gravée, érodée par le temps, ondulait sous la poussière :
« Celui qui saura entendre verra la lumière sous la pierre. »
— Ça ressemble étrangement à une énigme… murmura l’Auteur, en griffonnant nerveusement sur son carnet. Toute bonne entrée en scène doit commencer par une promesse de secret !
Hugo posa sa main sur le bois fatigué de la porte. Toute sa timidité disparut, remplacée par la flamme de l’investigation. Scratch lui lança un regard entendu : ce n’était pas la première expédition nocturne du duo.
La porte grinca, soufflant un courant glacé. À l’intérieur, l’obscurité engloutissait tout, jusqu’au halo tremblant de la lampe. Des couloirs s’étiraient comme d’interminables rubans, jonchés d’anciens rails tordus et de gravats recouverts de mousses pâles. Au plafond, la roche suintait – goutte – à – goutte, comme si le temps pleurait le souvenir du passé.
— Méfie-toi des échos, prévint l’Auteur en chuchotis précautionneux. Les mines aiment répéter, mais jamais la même vérité deux fois…
Scratch avançait en éclaireur : chaque bruit de gravier fuyant sous ses pattes alertait Hugo d’une possible impasse. Pourtant, il ne se laissa pas distraire. Pas même par ce courant d’air soudain, encore moins par ce souffle… Non, ce n’était qu’une chauve-souris!
Tout à coup, au détour d’un renfoncement, une lueur bleutée, fragile comme un souffle, s’alluma dans une galerie latérale. Elle vacilla, puis disparut dans un froissement, comme si une ombre avait pris la fuite.
— Une fausse piste ? Une vraie énigme commence toujours comme ça, proposa l’Auteur, l’œil pétillant de malice. On croit voir la solution, mais elle vous glisse entre les doigts.
— Ou alors… c’est le fil du mystère qui nous invite à le suivre, répondit Hugo, la voix basse et déterminée.
Scratch s’accroupit, prêt à bondir. Il s’approcha d’une fissure, renifla longuement – puis miaula si fort qu’Hugo crut qu’il venait de débusquer un spectre.
Hugo réfléchit. L’énigme à la porte parlait d’"entendre" pour "voir la lumière sous la pierre". Il colla son oreille contre la paroi humide, tentant d’imaginer ce qu’il devait déceler : un grondement au loin, le frôlement d’une silhouette, ou le simple rythme de son propre cœur ?
Un silence épais enveloppait tout. Mais derrière lui, l’Auteur chuchota :
— Regarde, Hugo. Les ombres qui bougent ne mentent pas toujours. Elles aiment se faire remarquer. Quelquefois, la vérité est indocile… Un brin tapageuse.
Sur ce, il tapota son chapeau, faisant jaillir une pluie de poussière. Scratch éternua, avant de s’installer prudemment près des bottes de l’Auteur.
La lumière bleue reparut, vacillante mais plus nette, comme un appel discret. Hugo inspira profondément, et, tenant Scratch bien près, s’engagea avec courage dans la galerie sombre.
Aussi silencieux qu’un voleur, le trio s’avançait, un pas à la fois, quand soudain un frisson d’appréhension parcourut Hugo. Il jeta un regard vers ses compagnons : Scratch, bien que sur le qui-vive, n’aurait manqué cette aventure pour aucune croquette du monde. L’Auteur, la mine ravie, griffonnait déjà en silence une nouvelle page de récit, la plume presque flottant toute seule.
Dans cette obscurité pleine de promesses, Hugo n’était plus seulement un détective en herbe, mais l’inventeur de son propre mystère.
Ce qu’il ignorait encore, à la pointe de ce courant d’air étrange, c’est qu’un Gardien invisible, tapi quelque part dans les galeries, surveillait chaque pas…
La chasse au secret venait à peine de commencer.